Le défi multiforme des femmes iraniennes à l'islamisation des lois et des institutions
Azadeh Kian-Thiébaut
Maître de conférences en science politique à l'Université Paris 8 et chercheur au Monde Iranien, CNRS.
La participation massive des femmes iraniennes aux élections présidentielles de mai 1997 et juin 2001, municipales de 1999 et législatives de 2000 et leur vote quasi unanime pour les candidats réformateurs, a bouleversé l'image stéréotypée des femmes iraniennes en Occident. Le voile islamique obligatoire que porte ces femmes avait largement contribué à leur assimilation, par les médias occidentaux, au régime islamique au pouvoir depuis la révolution de 1979. Parmi les électrices, certaines revendiquent un changement radical des lois islamiques en vigueur, d'autres pensent que les réformes de législation ne sont pas suffisantes tant que les coutumes sociales et les perceptions culturelles considérant les femmes comme des êtres inférieurs demeurent inchangées. C'est donc dans l'espoir d'un changement juridique, politique, et culturel radical et pour l'amélioration de leur statut et condition que les femmes ont prêté main forte à leur candidat en utilisant leur droit de vote.
La mobilisation des Iraniennes contre l'institutionnalisation des inégalités s'explique par l'existence d'un mouvement de femmes au début du vingtième siècle, les réformes statutaires sous les Pahlavi (1925-79), et en fin et surtout la constitution des femmes en actrices sociales et politiques pendant la révolution de 1978-79. Ces antécédents de luttes sociales et politiques et de droits acquis ou octroyés sert aujourd'hui de référence aux femmes pour défier l'islamisation des lois et des institutions. (1)
L'institutionnalisation des inégalités
La revendication des femmes pour un changement tout azimut s'explique : A peine un mois après l'établissement du régime islamique, la loi de la protection de la famille (promulguée en 1967 et qui élevait l'âge minimum de mariage pour les filles de 13 à 15 et plus tard à 18 ans et offrait aux femmes notamment le droit au divorce et à la garde des enfants après le divorce) est abolie et une législation religieuse est appliquée au droit familial et au droit des femmes : port obligatoire du voile, limitation importante du droit au divorce et à la garde des enfants pour les mères divorcées (l'article 1133 du code civil), retour à un âge minimum de mariage pour les filles de 13 puis de 9 ans (et pour les garçons de 15 ans), légalisation de la polygamie, soumission de la femme à l'autorité et aux exigences, y compris sexuels, de son époux (articles 1105 et 1108 du code civil), ou contrôle de ses activités en dehors du foyer par son époux (article 1177 du code civil) . Selon le code civil, l'épouse a le droit de refuser la cohabitation avant réception de son douaire (mahriyé), et elle a le droit de disposer de ses biens. L'article 1106 du code civil stipule que dans le mariage permanent, l'époux doit fournir une pension (nafaqé) à son épouse. S'il refuse de fournir le nafaqé qui comprend le logement, l'alimentation, le vêtement et les meubles (l'article 1204 du code civil), son épouse peut demander le divorce. Il convient de préciser que le divorce d'initiative féminine est découragé puisque la femme ne peut le demander que sous certaines conditions, précisées par la loi et renforcées par les juges des tribunaux. A condition que les deux époux aient signés les articles correspondants inscrits dans le livret de mariage, en vigueur depuis 1980, la femme peut initier le divorce si son mari lui en a donné procuration. Elle peut aussi initier le divorce si elle est maltraitée au point que sa vie est rendue insupportable, si le mari est drogué ou impuissant, s'il est atteint d'une maladie incurable qui mettrait en danger la vie de l'épouse, s'il est atteint de folie, s'il est condamné à plus de 5 ans d'emprisonnement, s'il refuse pendant au moins six mois consécutivement de payer la pension (nafaqé) de sa femme, s'il est absent du foyer depuis plus de 4 ans, et si le métier qu'il exerce met en péril l'honneur de sa femme et de sa famille. Cependant, rares sont les couples qui au moment de mariage songent au divorce et parviennent à négocier de manière à apposer leurs signatures au bas des articles du livret de mariage. Quant aux femmes qui se sont mariées avant l'entrée en vigueur de cette loi, il leur est encore plus difficile d'initier le divorce. D'autant que, la garde du fils âgé de plus de deux ans et de la fille âgée de plus de sept ans étant dans la majorité des cas confiée aux pères, les mères préfèrent subir une vie conjugale difficile plutôt que de risquer d'être éloignées de leurs enfants. A cela s'ajoute le faible taux d'activité économique des femmes et d'indépendance financière, et l'impossibilité pour la plupart d'entre elles de subvenir à leurs besoins après le divorce. La loi sur la garde des enfants a été amendé : une petite fille est décédée en 1997 suites aux blessures infligées par son père qui avait automatiquement obtenu le droit à sa garde après le divorce. La presse féminine s'est fait largement écho de cette tragédie qui a bouleversé l'opinion publique. Les défenseurs des droits des femmes et des enfants ont manifesté pour demander le changement de lois. En 1998, sous la pression de la population féminine, les femmes parlementaires ont proposé un amendement aux lois selon lequel la garde des enfants n'est plus automatiquement confiée aux pères.
Le code civil attribue au mari la direction de la famille, le choix du lieu de résidence, le droit de contracter quatre mariages permanents simultanés, et un nombre infini de mariages temporaires (sighé ) successifs. L'article 1105 du code civil stipule que l'homme est le chef de la famille à qui la femme doit se soumettre (tamkin). Si la femme refuse la soumission son mari est autorisé par la loi à la sanctionner d'abord en refusant de lui fournir sa pension (article 1108 du code civil) et, dans certains cas, en divorçant. L'homme est aussi privilégié dans le domaine de la procréation et de l'éducation des enfants, puisque c'est le père qui détient l'autorité parentale (haq-e kéfalat ). En cas de divorce, la mère peut, sur avis favorable du juge, obtenir le droit à la garde de son fils jusqu'à l'âge de deux ans et de sa fille jusqu'à l'âge de sept ans (haq-e hézanat) . Dans ce cas, c'est elle qui doit se charger de fournir le logement, l'alimentation, la scolarisation, etc. de l'enfant. Elle perdera automatiquement le droit à la garde si elle se remarie. Quant à l'autorité parentale, elle est exclusivement réservée au père. Dans le cas du refus ou du décès du père, ce droit reviendra à l'ascendant paternel.
Selon le droit successoral, la femme hérite de la moitié de la part de l'homme, pour le code pénal le prix du sang (diyeh) des femmes est la moitié de celui des hommes, et le témoignage d'une femme dans une affaire pénale n'est accepté qu'à condition d'être corroboré à celui d'un homme. Suite à l'application des lois islamiques, l'accès des femmes à la magistrature, aux postes administratifs impliquant une faculté de jugement et de décision, et à plusieurs filières universitaires dont le droit, les études techniques, la gestion et certaines branches de la médecine a été interdit.
Malgré la participation des femmes islamistes à la vie active comme à la guerre Irak-Iran (1980-88), l'image de la femme musulmane dans le discours dominant appuyé par les médias était celle d'une mère et épouse et non d'une femme socialement active. La presse écrite tout comme la télévision et le cinéma jouaient un rôle important pour perpétuer l'idéologie de l'État. Ainsi dans les films et feuilletons télévisés les femmes étaient soit absentes ou si elles étaient présentes, leur rôle était strictement limité à celui d'une mère et épouse. Outre les médias, les mosquées et les prières du vendredi, les livres scolaires étaient mis à contribution pour propager l'idéologie dominante en vue de faire assimiler, à la nouvelle génération, l'image traditionnelle de la femme musulmane.
La loi constitutionnelle entérine le système patriarcal en attribuant à l'homme le droit exclusif à la direction religieuse et juridique de la société (articles 5, 107 et 163), mais reste ambiguë quant à la direction politique. L'article 115 utilise le terme rajol qui désigne un homme mais aussi une personnalité reconnue, qui par définition peut être aussi une femme. Comme on le verra plus loin, cette ambiguïté a permis aux femmes actrices sociales et politiques d'affirmer que la loi constitutionnelle autorise les femmes à être candidate à l'élection présidentielle.
Les femmes et la politique
Perdant une partie importante de leurs droits civils, les femmes ont pu maintenir leurs droits politiques grâce à leur constitution en actrices sociales et politiques pendant la révolution. Ce qui a conduit l'Ayatollah Khomeyni à rétracter sa position précédente et à entériner, sur le plan religieux, les droits politiques des femmes. L'octroi du droit de vote et d'éligibilité aux femmes par le Chah en 1963 avait, en effet, suscité le mécontentement des clercs du haut rang, dont Khomeyni. "En octroyant le droit de vote aux femmes, le gouvernement a enfreint l'islam et a provoqué l'inquiétude des uléma et d'autres musulmans". (2) Plusieurs clercs du haut rang s'étaient associés à Khomeyni pour déclarer que "L'entrée des femmes dans les deux Majles (la chambre des représentants et le sénat), dans les conseils municipaux et locaux, est contre les lois islamiques...et abroge les conditions que l'islam a déterminé concernant les électeurs et les élus." (3) Mais face à la participation active des femmes au mouvement révolutionnaire l'Ayatollah Khomeyni changea de discours et annonça : "Les femmes ont le droit d'intervenir dans les affaires politiques. C'est leur devoir religieux...".(4)
Les privilèges excessifs accordés aux hommes par la chari'a n'ont pas tardé à provoquer le mécontentement de la population féminine, y compris des femmes islamistes, qui, pendant la révolution revendiquaient sa mise en application. Ainsi, les quatre femmes députées aux trois premiers parlements islamiques réunis respectivement en 1979, 1983 et 1987 et qui occupaient 1,5% des sièges, étaient assaillies par leurs électrices issues des milieux traditionnels et religieux, mécontentes de l'aggravation de leur condition. Ces députées qui partageaient une vision traditionaliste et adhéraient à l'idéologie dominante, défendaient "les besoins et les droits islamiques des femmes". Elles affirmaient que les lois islamiques octroyaient aux femmes tous leurs droits et que si ces lois étaient appliquées à la lettre les femmes obtiendraient leurs droits. Dans cette perspective, elles ont proposé des projets de lois à l'Assemblée mais la majorité d'entre eux a été refusée par leurs collègues masculins. Marziyyeh Dabbagh (membre du deuxième, troisième et cinquième parlement, 1996-2000) a affirmé : " Dans le deuxième et troisième parlement, à chaque fois que nous [femmes députées] souhaitions présenter des projets de loi concernant la condition des femmes, nous étions contraintes d'obtenir dans un premier temps l'accord des membres de diverses commissions parlementaires avant de pouvoir les présenter à l'assemblée générale. Mais, il arrivait souvent que ceux qui avaient auparavant approuvé nos propositions au sein des commissions, s'y opposent avec véhémence devant l'assemblée générale... " (5)
Face à l'ampleur des revendications de la population féminine, le gouvernement a crée en juin 1987 le Conseil Culturel et Social des Femmes. Parmi les projets de ce conseil on peut notamment énumérer la fondation de "l'Institution exécutive des femmes", la désignation de la conseillère du président de la République dans les affaires concernant les femmes, la création de "l'Office des affaires des femmes", la suppression des dispositions interdisant ou limitant l'admission des jeunes femmes dans certaines disciplines universitaires, la création d'une office pour assister et guider les familles en vue de stabiliser et renforcer l'institution familiale basée sur le droit et l'éthique Islamique, et l'assistance aux mères et enfants démunis. En décembre 1991, l'Office des affaires des femmes fut fondée. Cette office fut placée sous la supervision directe de l'ancien président Rafsandjani et avait pour but de "créer davantage de possibilités pour que les femmes puissent bénéficier de leur droits dans toutes les dimensions culturelles, sociales, et économiques". (6) Quelques uns des projets de cette office peuvent être énumérer comme suit : alphabétisation obligatoire des femmes, éducation des femmes en matière de leur droits, étude des problèmes légaux des femmes, création des centres de conseil de la famille, réforme des codes civils concernant les femmes, réforme des lois sur le divorce, création du bureau d'assistance judiciaire aux femmes, suppression des entraves existantes pour faciliter l'envoi des étudiantes à l'étranger, création d'un centre pour l'emploi des femmes.
Le nombre des députées au quatrième parlement Islamique élu en mars-avril 1992 et dominé par les traditionalistes avait plus que doublé par rapport aux parlements précédents pour atteindre neuf membres, dont quatre élues de provinces. Outre l'augmentation numérique, le niveau d'éducation de ces femmes était beaucoup plus élevé que celui des femmes dans les parlements précédents, et la plupart d'entre elles exerçait une activité professionnelle avant d'être élue. Ces députées, comme celles des parlements précédents présentaient des projets de loi en vue d'améliorer la condition féminine dans le cadre du respect des lois Coraniques. Certaines déclaraient avoir préparé des projets de loi pour "combler certaines lacunes" et reprochaient aux autorités judiciaires "la non-exécution des lois existantes et bénéfiques aux femmes". (7) Néanmoins, leur souci de ne pas se marginaliser et/ou leur adhésion à l'idéologie dominante les conduisait à ne pas affronter directement les points de vue traditionalistes de la majorité des députés hommes.
L'ampleur du mécontentement de la population féminine a provoqué une mobilisation plus importante des femmes islamistes aux élections législatives pour le cinquième parlement par rapport aux élections précédentes. A l'échelle nationale 320 femmes ont présenté leur candidature (6% du total des candidats). A Téhéran, sur 419 candidats habilités par le Conseil des Gardiens, 50 étaient des femmes (soit 12%). Parmi elles, seules 13 (soit 26%) se sont présentées sur les quatre listes principales (présentées par la droite traditionaliste, la droite moderne, et la gauche islamiste).
Ces élections qui ont mobilisé les femmes islamistes, ont aussi fourni une nouvelle occasion aux femmes de revendiquer ouvertement et publiquement leur droits et d'exiger que les candidats s'expriment sur divers aspects de la condition féminine.
Plusieurs candidates n'ont pas hésité à critiquer les articles du code civil, les barrières dressées devant l'accès des femmes aux postes clés dans l'administration de même que dans les instances juridiques et politiques. Parmi les candidates certaines étaient considérées par le public féminin comme des défenseurs des droits de femmes. Tel était le cas de Soheila Jelodarzadeh, d'origine ouvrière et membre de l'Office des affaires des femmes, Faezeh Rafsanjani, la fille cadette du président Rafsanjani et présidente du Conseil de la Solidarité du sport féminin des pays musulmans, et de Marziyyeh Seddiqi, l'une des fondatrices de l'Office des affaires des femmes, candidate à Mashhad (deuxième ville du pays). Toutes trois furent élues. A titre d'exemple, Faezeh Rafsanjani, candidate dans capitale, a été deuxième en nombre de voix, derrière Nateq-Nouri, l'influent clerc, Président des quatrième et cinquième parlements et candidat de la droite traditionnelle à la présidentielle de 1997. Cependant, le refus du Conseil des gardiens (chargé de veiller à la constitutionalité des lois et qui habilite les candidats aux élections) d'habiliter une grande partie des candidates a eu pour conséquence la faible représentation des femmes islamistes au parlement, les dix élues en mars-avril n'occupaient que 4% des sièges. En février, les élections ont été réorganisées dans les huit circonscriptions où elles avaient été annulées. Les résultats ont confirmé la détermination des électeurs à mandater un nombre plus important de femmes au parlement. Les deux candidates d'Esfahan (la troisième ville du pays) et celle de Malayer ont été réélues. Ce qui augmente le nombre des députées à un total de treize (5%).
Malgré leur nombre limité, les députées du cinquième parlement sont plus déterminées que leurs prédécesseurs à améliorer la condition féminine. Huit d'entre elles, élues pour la première fois, sont plus jeunes (leur âge moyen est de 37,2 ans contre 46 ans au quatrième parlement et 55 ans aux trois premiers parlements), possèdent un niveau d'instruction plus élevé, et sont plus expérimenté dans les questions féminines.
L'ambiguïté existante dans la Constitution relative au poste de présidence de la République a permis à certaines femmes de revendiquer la possibilité de la direction politique du pays par une femme. Faezeh Rafsanjani a affirmé : " Quelle est la différence entre la présidence de la république et la direction d'une administration? Aucune. Dans les deux cas, il s'agit d'une responsabilité exécutive. Alors pourquoi une femme ne pourrait-elle pas diriger le pays si elle peut être à la tête d'une administration "? (8) Se saisissant de cette même ambiguïté, huit femmes ont déclaré leur candidature à l'élection présidentielle. Azam Taleqani (fille de l'Ayatollah défunt Mahmoud Taleqani), directrice de l'Institut Islamique des Femmes Iraniennes et rédactrice du magazine féminin Payam-e Hâjar, fut l'une d'elles. Elle a décidé de présenter sa candidature pour défier la perception des traditionalistes : " J'ai le droit de présenter ma candidature. De plus, je souhaite que le mot rajol soit clarifier dans la constitution. Si le Conseil des gardiens (qui veille à la constitutionnalité des lois et habilite les candidats aux élections) respecte l'islam, je serai habilitée ". (9) Néanmoins, le mot rajol n'a pas été clarifié puisque aucune des candidates n'a été habilitée par le Conseil des gardiens sans qu'aucune raison ne soit précisée par le-dit Conseil. Cet épisode a été déterminant pour certaines femmes islamistes qui avaient encore des doutes sur l'opposition des religieux traditionalistes envers l'ascension politique des femmes et l'égalité des droits.
Le défi multiforme des femmes
Les reculs qu'ont subi les droits des femmes et le droit familial ont paradoxalement conduit à la mobilisation des femmes, toutes catégories sociales et classes d'âge confondues, contribuant à la formation d'une identité sociale féminine et au rejet des inégalités institutionnalisées. (10) . Les femmes juristes comme Chirine Ebadi, Mehranguiz Kar ou Nahid Shid sont à l'origine des débats qui mettent en question la pertinence des lois en vigueur. Les intellectuelles laïques qui étaient réduites au silence pendant plusieurs années ont adopté une nouvelle stratégie qui consiste à affirmer leur identité sociale à travers l'écriture. Ces spécialistes discutent divers aspects de l'inégalité sexuelle, analysent ses causes et ses conséquences, et proposent des solutions. Mehranguiz Kar, une célèbre avocate qui contribue régulièrement au magazine Zanan et qui a publié plusieurs livres sur les problèmes sociaux, légaux, économiques et politiques des femmes affirme :
Une fois la guerre finie, nous [les intellectuelles laïques] avons senti que les circonstances sociales et politiques étaient moins hostiles envers l'expression de nos opinions. Nous avons ainsi procédé à la publication de nos ouvrages sur la condition des femmes et sommes graduellement entrées sur la scène sociale et culturelle. Néanmoins, en tant que laïque, nous rencontrons des restrictions qui, selon les périodes, nous forcent temporairement au silence. Nous avons l'impression qu'écrire nous renforce. Nous avons le sentiment qu'une force est née à l'intérieur de nous beaucoup plus puissante que le pouvoir des partisans de la ségrégation sexuelle". (11)
De même, Chirin Ebadi, une juriste laïque de renom, la première femme juge en l'Iran (nommée en 1969), a décidé d'affirmer son identité à travers l'écriture. Au moment de la révolution elle était juge mais suite à l'application de la chari'a, elle, tout comme les autres femmes juges, a perdu son poste sous prétexte que les femmes étaient trop sensibles par nature et qu'elles étaient susceptibles d'être manipulées. Elle a été reléguée à un poste administratif au ministère de la justice duquel elle a démissionné pour travailler comme consultante juridique:
J'étais présidente de la cour jusqu'en 1979. Je n'étais pas activiste politique avant la révolution mais j'avais un penchant religieux et étais très optimiste au sujet de la religion. C'est la raison pour laquelle j'ai adhéré à la tendance générale pour devenir révolutionnaire. Suite au mot d'ordre de l'Ayatollah Khomeyni alors en exile en France, qui demandait aux employés de l'administration d'évincer les ministres, j'ai accompagné un groupe de révolutionnaires du ministère de la justice au bureau du ministre et lui avons demandé de quitter le ministère. J'étais la seule femme du groupe. Le ministre qui me connaissait m'a regardé et m'a dit "savez vous qui si les mollahs arrivent au pouvoir la première chose qu'ils feront c'est de vous licencier? Je l'ai pas cru et lui ai répondu que je préférais être un être humain libre plutôt qu'une juge en captivité! Mais après la révolution j'ai en effet été licenciée de mon poste. Ils m'ont proposé un poste administratif. Mais je me sentais à tel point humiliée que j'ai démissionné pour travailler comme consultante juridique auprès des entreprises. Même si mes revenus étaient beaucoup plus élevés par rapport à mes revenus de juge, je n'étais pas satisfaite. J'étais persuadé que je devais entreprendre une autre activité pour prouver mon identité en tant que femme. Comme juge, j'ai toujours été sensible aux problèmes des femmes. J'ai commencé à écrire sur les lacunes de notre système légal..." (12)
Nahid Shid est une juriste musulmane qui a une double formation religieuse et universitaire. Elle a initié plusieurs amendements aux lois, notamment concernant l'ojrat ol-mesl (le principe stipulant que si la demande de divorce est déposée par l'époux, et si l'épouse est en mesure de prouver qu'elle a effectué les taches ménagères sur la demande de son époux et malgré sa volonté, elle peut demander à être financièrement récompensée par son époux). Elle affirme :
Une grande partie des lois en vigueur peut et doit être changée parce qu'elles ne sont pas d'ordre divin. Elles sont fondées sur les principes secondaires. Le prix du sang en fait partie. Il a été déterminé à une époque où les hommes étaient valorisés comme combattants contribuant à l'expansion de l'islam, tandis que les femmes étaient dépourvues de telles valeurs sociales. Le temps a changé et les lois doivent refléter ce changement...La loi concernant le prix du sang ne peut pas fonctionner dans une société où les femmes sont médecins, professeurs d'université ou ingénieurs. Leur vie doit avoir la même valeur que celle des hommes". (13)
La presse féminine : une nouvelle lecture du Coran et des lois islamiques
La presse féminine s'est multipliée à partir des années quatre-vingt dix. Pendant la décennie précédente seul trois magazines féminins existaient. Il s'agissait de Payam-e Hâjar, publié par Azam Taleqani, Neda, publié par Zahra Mostafavi (fille de l'Ayatollah Khomeyni) directrice de l'Association des Femmes de la République Islamique, et Zan-e Rouz, publié par Keyhan, une société de presse dirigée par les traditionalistes. Lorsque sous la pression de la société civile l'État a autorisé une relative liberté de presse les femmes musulmanes modernistes se sont saisie de l'occasion pour publier leurs magazines féminins dont Zanan, Farzaneh, Hoqouq-e Zanan, Zan (14), et Zan-e Emrouz. Le but de ces magazines est de promouvoir le statut de la femme en soulignant les lacunes légales, sociales, politiques, culturelles, et économiques, et de proposer le changement du code civil et du droit pénal, la législation du travail et la loi constitutionnelle. Chahla Cherkat, la rédactrice en chef de l'influent magazine Zanan (les femmes) s'exprime :
Les femmes iraniennes se posent la question de savoir pourquoi elles sont dépourvues du droit de prendre la direction spirituelle, politique et juridique de la population. Nous pensons que le Coran n'a pas interdit aux femmes d'exercer ces fonctions. Cette interdiction prend sa source dans les opinions du clergé d'antan, construites probablement sur le modèle de leur propre rapports à leur épouse ou entourage féminin qu'ils ont généralisé par la suite à toutes les femmes. Elle est donc le résultat de l'époque où les femmes étaient prisonnières dans leurs foyers et menaient leur existence derrière les portes fermées, une époque ou elles étaient tenues à l'écart de la société. Aujourd'hui les femmes sont présentes dans tous les domaines et prennent part activement à la vie publique".
L'intelligentsia féminine a aussi réinterprété les lois et principes islamiques au profit des femmes. A titre d'exemple, la polygamie, pourtant inscrite dans le Coran, est rejetée. Payam-e Hâjar réfute la légalisation de la polygamie et propose une nouvelle interprétation: "L'analyse des versets coraniques sur la polygamie montre que ce droit est recommandé par le Coran dans certains cas spécifiques et uniquement pour subvenir à un besoin social et en vue de répandre la justice sociale". Les cas spécifiques étant les périodes de guerre pendant lesquelles les chefs des familles étaient tués sur les fronts laissant derrière eux de nombreux orphelins et veuves sans ressources. Ces situations causaient alors d'énormes problèmes à la communauté musulmane. En l'absence d'institutions sociales de prise en charge des veuves et orphelins, cette responsabilité fut déléguée aux hommes musulmans via la polygamie. Cette interprétation affirme que "Dieu a recommandé la polygamie dans le cas d'une nécessité sociale, et à condition que les hommes puissent préserver l'équité entre leurs épouses". Ces femmes associent leur interprétation des versets coraniques à la réalité de la société iranienne post-révolutionnaire pour rejeter la polygamie comme une nécessité sociale. Puisque "contrairement à l'époque ancienne, l'État moderne et ses institutions sociales sont conçus pour subvenir aux besoins des familles en difficultés, la polygamie n'a plus de fonction sociale à remplir". En outre, ces femmes s'appuient sur le recensement de la population pour conforter leur position; globalement, le nombre des hommes y dépasse celui des femmes; la pratique de la polygamie par les hommes ayant des moyens financiers, priverait donc les autres, de mariage. D'autant qu' "Il a été démontré qu'en réalité c'est le plaisir et le divertissement et non pas la charité qui motive les hommes polygames"
Hoqouq-e Zanan publie des articles pour rejeter les privilèges accordés aux hommes par le code civil, dont leur droit unilatéral au divorce :
Les partisans du droit unilatéral de l'homme au divorce se réfère au Coran pour justifier leur point de vue mais une lecture des versets concernés montre que de telle indication n'existe pas. D'autant que le Coran autorise même les femmes du Prophète à divorcer. (15)
La contribution des clercs réformateurs
Bien que les femmes proposent des changements légaux et présentent leur propre lecture du Coran et des lois islamiques, le changement des lois en vigueur sous le régime islamique est facilité par le recours à ijtihad (interprétation des lois et des traditions religieuses). Suite au décès, au début des années 1980, de Mme. Amin-Esfahani, une femme Mojtahed, l'Iran est pour le moment dépourvu de femmes dotée d'une autorité religieuse. En attendant la formation de femmes Mojtahed, la délivrance des édits religieux en vue de changements de lois est limitée aux hommes qualifiés. Ainsi, le soutien des clercs de haut rang s'avère nécessaire. C'est la raison pour laquelle l'intelligentsia féminine interagit avec certains clercs réformateurs dont plusieurs Ayatollah, sensibles aux problèmes des femmes, et fait appel à leurs contributions. Le Grand Ayatollah Yousef Sane'i, l'Ayatollah Bojnourdi , Hojjat-ol Eslam Mohsen Saidzadeh et Hojjat-ol Eslam Mohaqqeq-Damad sont parmi les clercs qui contribuent à la cause des femmes en critiquant "les interprétations erronées" du Coran, et la limitation des droits des femmes au nom de la religion.
Le Grand Ayatollah Sane'i a affirmé que l'islam n'interdisait pas aux femmes de devenir juges ou Mojtahed, qu'elles peuvent délivrer des édits religieux (fatwa), et devenir dirigeants politiques. (16) Pour Mohaqqeq-Damad " L'islam est la religion de la justice, de la compassion, et du droit de femmes. ... Malheureusement tout ce que certains hommes ont retenu de l'islam est qu'ils ont le droit à la polygamie". (17)
Hojjat-ol Eslam Mohsen Saidzadeh (emprisonné pendant neuf mois en 1998 par le Tribunal Spécial du Clergé) qui collabore notamment avec le magazine Zanan, a publié en 1992 une série d'articles sous un pseudonyme féminin. Il écrivait que " Dans les principaux textes Islamiques tels que le Coran et le hadith, il n'y a aucun élément pour justifier que l'Islam interdit aux femmes de délivrer les édits religieux et de devenir les sources d'imitation... Par contre, dans les sources secondaires [les interprétations des autorités religieuses]... quelques indications existent". (18) Il affirmait qu'aucun consensus n'existe sur le sujet parmi les autorités religieuses pour justifier de telles entraves. D'autant que dans l'histoire de l'Islam, plusieurs femmes avaient atteint le sommet de l'autorité religieuse et avaient à leur tour enseigné aux hommes qui sont ensuite devenus des autorités religieuses. En raison de l'existence de ces précédents en Iran et ailleurs dans le monde musulman, la reconnaissance de l'autorité religieuse des femmes par les hautes autorités religieuse dans le passé, et de l'absence de consensus dans le clergé, les interdictions actuelles peuvent être réfutées. Par conséquence "une femme peut délivrer des édits religieux...et peut diriger la population dans les domaines intellectuels et religieux". (19) Depuis, Hojjat-ol Eslam Mohsen Saidzadeh, indubitablement l'un des meilleurs spécialistes iraniens des textes islamiques sur les femmes, a continué son plaidoyer pour une interprétation moderne et réaliste de l'islam en signant sous son vrai nom.
L'étendue des interrogations des femmes est telle qu'elles ont gagné les villes saintes et ont contraint l'école religieuse de Qom à s'en préoccuper en publiant le magazine féminin Payam-e Zan. Contrairement aux autres magazines féminins dirigés par les femmes, le comité de rédaction du Payam-e zan est exclusivement masculin. Cela étant, ce magazine rejette une lecture obscurantiste de l'islam et à travers des entretiens avec les clercs réformateurs tente de proposer la possibilité d'une amélioration de la condition des femmes. (20)
Études théologiques
Pour former des femmes spécialistes de jurisprudence islamique, capable de présenter une nouvelle lecture de la religion au profit des femmes, plusieurs écoles religieuses ont été crées par des femmes. Aujourd'hui, 16% des étudiants en théologie sont des femmes, dont 60% ont entre 15 et 24 ans. Elles continuent aussi leurs études au lycée ou à l'université. (21)
Fatemeh Amini, une religieuse divorcée, la fondatrice en 1972 de la première école religieuse pour les femmes à Qom qui dirige actuellement l'école religieuse Fatemeh Zahra à Téhéran affirme :
Selon le Coran les hommes et les femmes sont égaux...La société a besoin aussi bien de femmes médecins et ingénieurs que de femmes Mojtahed. Cependant, de multiples obstacles sont dressés devant les femmes souhaitant atteindre le degré d'ijtihad. Si ces entraves n'existaient pas on aurait pu avoir au moins une cinquantaine de femmes mojtahed depuis la révolution. Notre but est de former des jeunes femmes spécialistes en jurisprudence islamique capables de trouver des solutions aux problèmes de la population féminine, y compris les problèmes sociaux. Nous avons 250 étudiantes qui font aussi des études au lycée ou à l'université. Notre cursus dure 4 ans et comprend aussi bien des cours de théologie que des cours de santé publique, de sociologie ou de science de l'environnement. Notre but est aussi de contribuer à la créativité des jeunes filles et d'augmenter leur confiance en elles". (22)
Etudes supérieures et emploi
Comme on l'a évoqué précédemment, pendant les années 1980, l'accès des femmes à plusieurs filières universitaires était interdit. Le discours dominant négligeait la dimension sociale de l'activité des femmes les valorisant exclusivement comme mères et épouses. Néanmoins, les jeunes femmes ont défié l'idéologie dominante à travers leur massif investissement dans l'éducation supérieure. Elles constituaient 30% des étudiants en 1988. Depuis, leur nombre n'a cessé d'augmenter pour atteindre 39% en 1991 et 41% en 1996. En 1998-99, et pour la première fois depuis 1936 date de la fondation de l'université de Téhéran (la première en Iran), les femmes constituaient 52 % des admises. Leur nombre ne cesse d'augmenter pour atteindre 57% des admis en 2000-2001. De même, la moitié des étudiants en médecine sont des femmes. A la fin de leurs études, une partie importante d'entre elles tentera d'entreprendre une activité économique. Outre leur volonté de s'affirmer par une activité économique et sociale, la crise économique et une inflation importante qui ont fait chuter le pouvoir d'achat des familles, obligent ces jeunes femmes à travailler. Ce qui n'était pas le cas de la génération de leur mères. En effet sous l'ancien régime les études supérieures des femmes ne débouchaient pas nécessairement sur un emploi rémunéré, les revenus des classes moyennes étant plus élevés qu'aujourd'hui, et le milieu de travail étant souvent perçu par les familles comme "corrompu" et "dangereux pour les jeunes femmes". Néanmoins, une femme ayant fait des études universitaires était valorisée et jouissait d'un certain respect auprès de sa famille, ainsi qu'auprès de son futur époux. Les études, comme le capital culturel, faisait partie des stratégies matrimoniales pour certaines jeunes femmes. Après la révolution, et face à la montée de l'activisme des actrices sociales résistant à la mise à l'index des femmes par le nouveau pouvoir et exigeant le droit à prendre activement part à la vie économique et sociale, certaines de ces femmes au foyer diplômées ont ressenti le besoin d'accompagner ce mouvement, de partager leur temps entre une vie active hors du foyer et leur vie de mère et d'épouse, et donc de s'affirmer en s'engageant dans une activité professionnelle ou associative. Ceci indépendamment des revenus de leurs époux. (23)
Avec l'engagement croissant des femmes, notamment celles de la classe moyenne, sur le marché de l'emploi, leur accès à une meilleure formation, à l'indépendance économique et à la participation sociale, les perceptions traditionnelles subissent des changements. De même, l'activité professionnelle des femmes augmente leur âge au premier mariage puisque les femmes actives se marient en moyenne 6 ans plus tard que les femmes non actives et un an plus tard que les hommes actifs. (24) Cependant, seules les plus instruites parviennent à trouver un emploi. Outre les lois islamiques, les coutumes sociales attribuent la fonction économique aux hommes et le marché suit cette tendance, notamment quand il s'agit d'employer de la main d'œuvre peu qualifiée. C'est la raison pour laquelle le nombre des femmes actives reste limité. Selon le recensement national de 1996, le taux d'activité des femmes âgées de plus de 10 ans serait de l'ordre de 8,2% à l'échelle nationale et de 10% en milieu urbain. Près de 64% des femmes actives en milieu urbain travaillent dans les secteurs scientifiques et techniques. (25) Et plus de 40% des femmes actives sont employées dans les branches de l'éducation et de la santé. (26) Il convient de préciser que le taux d'activité des femmes concerne les emplois déclarés, notamment, en milieu urbain puisque les recensements nationaux n'enregistrent pas le taux d'activité des paysannes travaillant dans les entreprises familiales, ni celui des femmes urbaines travaillant, d'une manière croissante, dans le secteur informel de l'économie. (27) Elles sont considérées dans les recensements comme femmes au foyer. Mes enquêtes de terrain montrent que beaucoup de femmes considérées comme non-actives travaillent à domicile comme couturières, coiffeuses, tisseuses de tapis, traiteures, ou sont marchandes ambulantes, femmes de ménages ou nourrice.
Les femmes et le sport
En dépit de l'opposition des religieux traditionalistes selon lesquels les activités sportives des femmes sont antireligieuses et illégales, des femmes se sont aussi imposées dans ce domaine. En raison du manque de centres ou clubs sportifs pour femmes à Téhéran, les femmes des quartiers aisés et moyens ont commencé à faire du jogging dans les parcs et jardins publics. En faisant du sport, elles saisissaient l'occasion de partager leur vécu, leurs expériences, et leurs problèmes entre elles. Cette initiative spontanée a ainsi contribué à la formation d'une identité sociale féminine. Les escarmouches quotidiennes entre les femmes et la police des mœurs, dont les médias se faisaient l'écho, a pris une ampleur importante. Cette initiative qui a débutée dans les quartiers favorisés de Téhéran, a reçu un accueil favorable des femmes des quartiers pauvres. Face à la résistance des femmes, les autorités ont été contraintes non seulement d'autoriser l'activité sportive des femmes dans les parcs, mais aussi d'allouer quatre grands parcs et jardins publics à Téhéran aux femmes pour leurs activités sportives. Plusieurs centres sportifs privés ou municipaux ont depuis été créés pour les femmes, y compris dans des quartiers défavorisés. L'engouement des femmes pour l'activité sportive est devenu un enjeu politique quand il s'est étendu au cyclisme en public et au football. Face à l'opposition des traditionalistes qui entendaient interdire aux femmes d'exercer certaines activités sportives, notamment le cyclisme, considérées comme illicites et dont la pratique serait susceptible de mettre en péril le port du voile islamique, le cyclisme féminin a fait l'objet d'une forte revendication. En décembre 1997, alors que les femmes ne pouvaient pas jouer au football, et que leur présence était interdite dans les stades, des milliers d'entre elles, toute catégories et classes d'âge confondues, qui avaient suivi les matches de qualifications pour la coupe du monde, se sont précipité au stade Azadi pour accueillir l'équipe nationale de retour d'Australie où elle s'était qualifiée pour la coup du monde. Face à l'enthousiasme et la persévérance des femmes, les autorités ont finalement cédé en ouvrant la porte des stades aux femmes. Depuis, le nombre des équipes féminines de football ne cesse d'augmenter.
Les femmes et le cinéma
Les femmes ont aussi utilisé la caméra pour s'imposer dans le cinéma, dominé par les hommes. En dépit des entraves politique et financières, les femmes metteurs en scène ont continué à faire des films a travers lesquels elles dénoncent les injustices que subissent les femmes. Contrairement à la majorité des feuilletons télévisés et des films qui représentent les femmes exclusivement comme mères et épouses, s'occupant des travaux ménagers, ou comme des êtres asociaux et totalement soumis à leurs maris, dans les films produits par les femmes les problèmes légaux et sociaux de la population féminine sont soulignés et les femmes sont aussi représentées comme actives, courageuses, avec une forte personnalité et autorité. Parmi ces femmes metteurs en scène on peut citer Rakhshan Bani-Etemad, dont les films incluent Zard-e Qanari (le Canari jeune), Kharej az Mahdoudeh (En dehors des limites de la ville), Poul-e Khareji (le Devise), Nargues, et Rousari-ye abi (le Foulard bleu); Tahmineh Milani dont les films incluent Bacheh ha-ye talaq (les Enfants du divorce), Afsaneh-ye ah (la Fable du soupir), Digeh Che Khabar (Quoi de neuf) et Kakadu; et Pouran Derakhshandeh dont les films incluent Rabeteh (Rapport), Parandeh-ye Kouchak-e Khosbakhti (le Petit oiseau de bonheur), Zaman-e az Dast Rafteh (Le temps perdu), et Obour az Ghobar (la Traversée de la poussière). Mais plusieurs films produits par les femmes metteurs en scène, jugées trop critiques, ou contraires à la morale islamique, avaient été censurées pendant plusieurs années. Depuis l'élection du président Khatami et la politique culturelle pluraliste menée par Ataollah Mohajerani, son ancien ministre de la culture et de la guidance islamique, certains interdits ont été levés et certains films censurés jusqu'à présent ont été montrés à l'écran. Le film de Tahmineh Milani intitulé Do Zan (Deux femmes), qui est un plaidoyer pour le féminisme, a été acclamé par le public. Le succès inédit remporté par ce film sur l'écran (trois millions d'entrées) témoigne de l'intérêt que suscite au sein de la société civile iranienne une interprétation moderne de la question féminine.
Conclusion
La mise en application des lois islamiques en Iran post-révolutionnaire a paradoxalement provoqué de nouvelles formes de stratégies pour l'activité sociale dans la population féminine. Dans ce processus, les doctrines, les lois et les principes islamiques, de même que les valeurs et les normes traditionnelles sont sans cesse contestées et réinterprétées par les femmes. Désormais, "le caractère divin" des lois islamiques en vigueur s'estompe pour laisser la place à la discussion critique. A travers leurs activités sociales, politiques, culturelles, artistiques, économiques et sportives les femmes participent aux débats publics et créent de nouveaux sens. Encouragées par leur propre contribution à l'ouverture de la scène politique et culturelle, elles semblent être plus que jamais déterminées à avancer leur cause à travers une lutte tout azimut contre les inégalités institutionnalisées. Une lutte qui dépasse les questions du genre et contribue à l'évolution de la société iranienne.
(1) Une différente version de cet article a été publiée dans Christian Lochon, Véronique Bodin et Jean Pierre Doumenge (dis), Femmes et islam, Paris, La Documentation Française, 2000.
(2) Le télégram adressé par Khomeyni au Chah le 9 octobre 1979, dans Sahifeh-ye Nour, Téhéran, vol.9, p.136.
(3) Le télégramme envoyé en février-mars 1963 au premier ministre Alam par neuf clercs du haut rang dont Golpayegani, Shari'atmadari, Tabatabayi, Khomeyni, et Zanjani. Voir Sahifeh-ye Nour, Téhéran, vol.1, p.29.
(4) Voir les propos de Khomeyni dansSahifeh-ye Nour, Téhéran, vol.9, p.136.
(5) Voir les propos de Marziyyeh Dabbagh, "Zanan va naqsh-e ânan dar majles" (les femmes et leur rôle au parlement), table ronde, Neda, n°.17_18, (l'hiver 1996), p.9.
(6) Pour les informations complémentaires voir, Salnameh -ye Zan, février 1993, p.88.
(7) "Ojrat ol mesl tasvib shod", Salnameh -ye zan", février 1993, p.28.
(8) Entretien personnel, Téhéran. juillet 1996.
(9) Zanan, n°.34, avril-mai 1997, p.6-7.
(10) Pour une discussion plus détaillée, voir, Azadeh Kian-Thiébaut, "L'émergence d'un discours féminin indépendant en Iran post-islamiste: un enjeu politique", Les Cahiers de l'Orient, 47 (1997), p.55-72. et, "Des femmes iraniennes contre le clergé: islamistes et laïques pour la première fois unies"; Le Monde Diplomatique, novembre 1996. Reproduit dans Femmes, le mauvais genre? Manière de voir, mars-avril 1999, p.63-65, et L'Offensive des religions, Manière de voir, novembre-décembre 1999, p.45-48.
(11) Entretien personnel, Téhéran. juillet 1994.
(12) Entretien personnel, Paris. mars 1995.
(13) Entretien personnel, Téhéran, février 1996.
(14) Le quotidien Zan, publié par Faezeh Rafsanjani, a été interdit en mars 1999 par le Tribunal de la Révolution pour avoir publié le message de l'impératrice Farah Pahlavi à l'occasion du nouvel an iranien et pour avoir publié un dessin qui ridiculisait la loi de talion, notamment le prix du sang.
(15) Ali Andisheh, "Farhang va talaq" (culture et divorce), Hoqouq-e Zanan, n°8, mars 1999, p.16-17.
(16) Voir son interview avec le magazine Payam-e Zan (le message de la femme), n°.63, mai 1997, p.6-9.
(17) Voir les propos de Mohaqqeq-Damad publié dans Zan-e Rouz, n°.1559, 9 juin 1996, p.4-5.
(18) Mina Yadegar -Azadi, "Ejtehad va marja'iyat -e zanan", Zanan, , première année, no.8, novembre -décembre 1992, p.24.
(19) Ibid. p.28.
(20) Pour une analyse détaillée des débats religieux publiés par ce magazine voir Ziba Mir-Hosseini, Islam and Gender. The Religious Debate in Contemporary Iran, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1999.
(21) Le Recensement National de la Population, 1996. p. 77-81.
(22) Entretien personnel, Téhéran, octobre 1994.
(23) Azadeh Kian-Thiébaut, "La mère active iranienne entre famille, Etat et société", Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n°.85-86, p.163-184.
(24) Mahmoud Taleqani, (dir.), Motaleat-e jame'-e shenasi-ye shar-e Tehran, jam'iyyat, Téhéran, Mo'assesey-e Motaleat va Tahqiqat-e Farhangui, 1991, 166 p.
(25) Firouzeh Khalatbari, "L'inégalité des sexes sur le marché du travail : une analyse des potentiels économiques de croissance", in Les femmes en Iran, pressions sociales et stratégies identitaires, Nouchine Yavari-d'Hellencourt (éd), Paris l'Harmattan, 1998, p.159-187.
(26) Le Recensement général de la population, 1996. Le Centre de Statistiques de l'Iran, p.112-113.
(27) Firouzeh Khalatbari, "Iran : A Unique Underground Economy", in L'économie de l'Iran islamique entre l'Etat et le marché, Thierry Coville (éd), Institut Français de Recherche en Iran, 1994, p.113-131. |