JACOBSON Danièle
France
En français
La moitié du ciel
Poème pour mes surs d'Afghanistan
Comme elles sont douces derrière leurs grands voiles
Leur beauté seulement au logis se dévoile
A mes chères surs de ce montagneux pays
Je souhaite la même liberté qu'ici
Liberté égalité et fraternité
Parce que du ciel vous êtes bien la moitié
Un très grand livre bien intéressant jadis l'a bien évoqué
Les femmes de la terre sont bien la moitié
Elégantes même derrière le tchadri
La destinée depuis longtemps vous poursuit
Car vous êtes condamnées à ne vous montrer
Que dans le cur de votre nuptiale nuitée
Vous savez couvrir de tendresse vos enfants
Et vous leur donnez le sein encore souvent
Vos grands yeux bleus sont ravissants votre corps aussi
Puisse un jour redevenir bonne votre vie
Malgré la réclusion vos têtes sont bien faites
Et vous êtes minces vous êtes très bien faites
Dans l'ombre vous luttez pour être reconnues
Un jour tout le monde vous portera aux nues
O mes surs gardez ce sera le grand soir
Toutes mes surs chéries du grand Afghanistan
Retrouveront le bonheur qu'elles attendent tant.
JAHANGIRI Guissou
Iran / France
En français
Il n'y a plus d'horizon paisible, ici
Je ne voyais qu'un bout de sa belle chevelure noire, cachée derrière
le demi-cercle de piles et de piles de livres devant la cheminée allumée.
Pourtant c'était le 21 juin, le premier jour de l'été.
Une journée chaude, lourde, trop lourde, à Téhéran,
chez moi. Ma mère devait procéder à ce jeu macabre d'autodafé.
Elle se trouvait soudain dans la peau du bourreau, d'Alexandre le Grand, du
tyran, du Chengiz Khan. Là, au milieu de notre salle à manger,
devant mes yeux d'adolescente. Elle devait s'appliquer dans notre maison au
"nettoyage" des livres jugés par les nouveaux hôtes obscurantistes
au palais si peu royal, comme subversifs, compromettants, interdits .
dangereux. Des livres dont la possession avait conduit notre voisin d'en face
en prison. Que de longs moments d'hésitation sur chaque livre, sur les
pages pliées, les passages soulignés, les dédicaces jaunies,
avant qu'il soit finalement, lentement, tristement, respectueusement, donné
au feu. Combien de larmes
combien de soupirs ! Seuls les chuchotements
accompagnaient les craquements du bois enflammé dans notre journée
de deuil.
"Ah kouchouley-e man*, celui-ci
non, je ne peux pas. Tu me l'as
offert quand tu n'avais que 13 ans, histoire de m'apprendre qui je suis".
Elle me passe Le Deuxième sexe de De Beauvoir. Je le cache dans mes bagages,
comme un souvenir sacré, histoire de me rappeler qui j'étais,
quand j'ai quitté, à jamais, ma ville natale qui ne me supportait
plus.
Mes longues années parisiennes n'ont pas apaisé mes douleurs.
Aurai-je pu imaginer que l'histoire n'était que la répétition
amère de la Tragédie? Que le soleil ne se lève plus en
Orient ?
Me trouvant au milieu d'une guerre civile, surprenante, dans la petite ville
de Douchanbe, un an après l'écroulement de l'Empire des Soviets,
j'avais les mêmes yeux étonnés. Le soufi Farrukh Qassem,
me demandait les raisons du silence du monde alors que ses amis démocrates,
écrivains, artistes, étudiants, tombaient un par un? Autour de
la nappe ornée de pain sec et de yaourt nous regardions une publicité
pour le riz Uncle Ben's à la télévision russe. Ferdowss,
son petit garçon de 6 ans, qui venait d'être circoncis, réclamait
des barres de chocolat Mars. C'est comme cela que nous avons vécu, là
bas, cette fin du communisme. Le monde extérieur était encore
saoul de son triomphe.
Des lamentations impatientes de la pluie
Sur la mort de la verdure,
Sur la mort de la joie,
De boire la totalité de la nuit
Dans des sombres coupes de tristesse,
De mitrailleuses, d'obus, de sang
Je dois écrire.**
Les 55 milles livres persans de la bibliothèque de Hakim Nasser Khosrow,
à Pol-i Khomiri venaient d'être mis à feu par les Talibans.
Les manuscrits millénaires, sauvés à travers tant de guerre,
tant de désespoir, ont disparus à jamais. Une mémoire s'est
effacée. Le monde ne l'a pas su. Pendant ce temps à Paris, les
conseillers émérites débattaient de l'importance de renforcer
des relations diplomatiques avec le Taleb.
Je n'ai vu du Bouddha de Bamiyan que son effigie exilée à Saint-Nazaire.
Ici en France. Grand, seul, du haut de ces 25 mètres il regardait calmement
sa ville de refuge passager, son port, son phare lointain, sa base sous-marine,
vestige d'une autre guerre. Son double féminin, je l'ai vu quelques années
plutôt, pas si loin que cela, plus au sud, en Afghanistan, à Mazar-i
Sharif, terre du sage Roumi. C'est là que j'ai vu pour la première
fois les Afghanes bleues. Vous savez celles à qui on oblige de porter
le tchadri? Il n'y a que des grilles serrées devant le visage. Impossible
à pénétrer. Ainsi l'honneur de la communauté est
sauf ! J'ai commencé à inscrire ces formes bleues sans visage
parmi les diverses bâtisses, voitures, motos... Comment cacher mon étonnement,
quand mon corps a effleuré une qui m'a sourie?
Je l'ai vu une deuxième fois à la télévision, elle
était seule au milieu du stade de Kaboul. Des milliers de personnes étaient
réunis, ce vendredi-là pour regarder son spectacle. Je sais que
le nud de la peur dans sa gorge l'étouffait. Elle a monté
ses bras vers son bourreau, elle demandait grâce. Elle ne l'a pas eue.
Le son du Kalachnikov a mis fin au spectacle.
La femme bleue, niée pour qu'elle voie le monde feutré, sans
être vue, pour qu'elle porte le deuil sans être reconnue, pour qu'elle
soit seul témoin de son temps sans être entendue.
Il n'y a plus de paisible horizon, ici.
Ô amour !
Ô liberté !
Ici, comment pourriez-vous fleurir ? **
Paris, octobre 2001
Postface de la pièce de théâtre Afghanes, Afghanistan de
Jean-Jacques Greneau, Compagnie le Minotaure, Bruxelles, Décembre 2001.
*ma petite fille
** Extraits des poèmes, " Récit amer de la survie ",
de Latif Pedram
JARRY Vincent
France
En français
Président de l'Association " Poèmes en gros et demi-gros
" et de la revue " Rue des poètes "
Uber die neue Freiheit
La paix
La paix
On aurait dit qu'il voulait la paix
Le plus de paix possible
Et puis toi tu flânes
Tu es jeune et belle
Tu trompettises et danses nègre
Et tu es au SMIC
La paix
La paix pour ma nation
Marchande de canons
A genoux devant un mort
Tu es jeune et belle
Le diplôme au cul
Tu vas tu ris et tu n'es rien
L'appareil te nique
La paix
Le poids
On aurait dit qu'on voulait le poids
Le plus de poids possible
Favela de poix
Ou banlieue de poix
Ça va péter et on va rire
Tu seras très belle
Fière
Altière
Ou bien morte
Mais ça va péter.
JEENBAEVA Gamme
Kirghizstan
En anglais
Poète et essayiste
The New Dawn of the Afghan Woman
The Future is made today,
The Future is here to stay.
Speak out your beliefs to the young and old
It is your turn to take the power's hold,
And be empowered,
The Afghan Woman.
Make the future into what you believe,
By helping men to learn to forgive
And by opening their eyes
To what they achieved
With warring
And hatred stirring.
To end the fight and retribution
The only cure that proves itself to work
Is celebrating your culture's contribution
To the wisdom of the world.
Put all the differences behind,
And with the positive in mind
Stand up to those who push you down.
No secret though, they'd rather see you drowned
In the rivers of civilian blood reaping the country further apart,
Then give respect
And opportunity to build a kinder future
Based on unity.
You have been lucky and unfortunate
To shoulder weights of such largess.
Your only weapon is your courage,
While taking people to illusive future
Of Peace, Prosperity, and Happiness.
No matter what, it is your call.
Insist on recognition
Of a new and happier dawn,
Which stands a tiny chance to rise
Unless the game rules are redrawn.
All eyes and hopes are on you,
The Afghan Woman:
Girl or Mother,
Student or Scientist,
Doctor or Teacher
And all the rest of your disguises
Silenced behind the burka.
JEENBAEVA Gamme
Kirghizstan
En anglais
Poète et essayiste
Children dream
If we dream of flying planes,
If we dream of building towers,
If we remember with love
Watching a circus of kamikaze and clowns -
Then we've come full circle,
And crossed the desert of fear
Leaving behind the shock waves,
And the suffocation of cloud dust and tears.
We can open our eyes now
From the nightmare of towers hit by planes
Collapsing while the world screamed,
Forever in our minds engraved.
Instead of falling into
A crusader psychotic trans
This is the time, this is the only chance
To step back, think and realize
That stolen countries, nations, lands
Fall victims of the big boys' games
For centuries, and not just this once.
In Afghanistan,
Children dream of flying planes,
They dream of building towers,
And they remember with love and much sadness
Watching a circus, before it was banned.
They remember the circus
With wonderful lights,
Bright colors and music -
Once family weekend's delight.
But when they wake up
There is nothing,
Just the desert with howling winds
That blow into their eyes,
Freezing their hearts and making them weep.
And every time their hearts go cold
Their hopes and dreams sip through the hole
That the war's decades drilled in their tender minds,
And that may take generations to rebind.
The children of Afghanistan
Have no idea why
The bombs are dropping endlessly
From the sky.
They miss their circus weekends
And want their schools back.
They want to sing, and dance, and study
They want to build, and fly, and be ready
To become the great men and women as they must.
The only problem is - they are just
Children who have no say
In the warlords and superpowers 's games
Where countries, markets, lives, and dreams
Are less than pawns on battlefields.
The deals are made, the wheel is stirring
Soliciting war and power sharing,
And always change of heart.
Afghanistan is once again
The chess pawn in a greater game.
The players are rich brats with millions and a million faces,
Along with the chameleon local thugs inevitably racing
For titles of a long forgotten world of brutal feudal reign.
Who is to tell them that their greed
Left children and their loved ones in a desert of fear
With a glimmer of dreams and a bucket of tears
That will turn them into terror kamikaze with wings.
JEENBAEVA Gamme
Kirghizstan
En anglais
Poète et essayiste
Refugee
Run refugee run
There is nothing left behind
Where used to be your home
There's now just ruins' fire.
Hide refugee hide
Those people have no pity
They came from the darkness of the night,
Instilling fear and killing beauty.
In your heart you know that
They have nothing else in mind,
But divide and rule your kind,
By forbidding all that you used to love.
Lead refugee lead
Bring your loved ones to better lands
Where shelter, food and water
Will heal your battered hands.
Keep refugee keep
The memories of all you'd seen
They have their hopes on you
Your people and your Kin.
You'll find the strength and courage
To turn the course of history
By telling the world of miseries
That spurt from war and rage.
"What have you seen?", your children
Will appeal to you one day.
"Endless pain and ruthless death", you'll say
"That we must never see again".
Sonnet inspired by Doris Lessing's sci-fi novel on being an eternal refugee,
Mara And Dann
JOQUEL Patrice
France
En français
Poète
Vingt heures
Etrangère
une caméra cueille au seuil du verger
un bourgeon laminé par les grêles
Les poutres saillantes des toits
soulignent l'absurdité d'un ciel
où le bleu porte le deuil des moissons
Caravanes modernes et dérisoires
quelques convois routiers
piétinent leurs cargaisons de sel
sur des asphaltes barbelés
Dans ce désert
aphone
un quelconque orant
aperçoit-il encore le mirage
des splendeurs divines ?
Le clocher
sonne à tâtons
cette heure
qu'aucun livre ne chantera:
les bibliothèques
flambent sans requiem
dans des mémoires obsolètes
Sur leur écran glacé
graphiques et statistiques
contemplent
les caractères incandescents
puis affichent
le volume exact de leurs cendres
Extrait de " Requiem pour un millénaire " Edition L'épi
de seigle
JOQUEL Patrice
France
En français
Les hommes n'ont que quelques mots
pour interpeller l'infini
quelques mots dans la nuit
pour marcher éblouis
et tenir dans leurs mains tremblantes
la flamme incandescente
de la vie
Extrait de " Requiem pour un millénaire " Edition L'épi
de seigle
JOQUEL Patrice
France
En français
(les cahiers du Rhin)
Sur les meules abrasives de leurs frontières
Les peuples calfeutrés aiguisent
Des phrases de vive haine
Ce soir encore
Le crépuscule est rouge
Et l'olivier fébrile
Bien sûr
Nous avons mille et une raisons
Pour nous combattre et nous meurtrir
Mille et une raisons
Pour chercher à mourir
Ce soir encore
Le crépuscule est rouge
Et l'olivier fébrile
Au creux de mes bras
Mon enfant écoute une voix le bercer
Une histoire, un poème
Un " papa, moi, je t'aime "
Moi aussi
Mon tout petit
Moi aussi
Les hommes n'ont plus que quelques mots
Pour interpeller l'infini
Quelques mots dans la nuit
Pour marcher éblouis
Et tenir dans leurs mains tremblantes
La flamme incandescente de la vie
Extrait de Requiem pour un millénaire